02/12/2015
La gestion des projets de santé, surtout à l’étranger, est une mission complexe et délicate. Elle est complexe parce qu’il s’agit d’un travail de précision, d’identification des besoins d’intervention, d’analyse économique, de recherche des financements, de mise en place des outils d’évaluation, d’expertise logistique, d’administration et de savoir-faire, le tout assaisonné d’une bonne dose de bureaucratie.
C’est également une activité délicate parce que le travail d’organisation est semé dans un champ de relations sociales et culturelles qui caractérisent les communautés que le projet a l’intention d’aider en respectant avec beaucoup de délicatesse la voie de la coopération et du partenariat.
Mais si l’introduction a été bonne et précise, la complexité et la délicatesse se traduiront en réalisations, progrès, partage des connaissances et évaluation avant d’aller vers de nouveaux projets. Conjointement à l’amélioration de l’équipement et des conditions sanitaires, on mûrit des relations et on s’entremêle des histoires. C’est à ce stade que l’intervention “scientifique” se joint à l’aspect “humain” fait de couleurs, de sourires, d’actions, de traditions, de respect de la diversité, d’ouverture culturelle. Il y a surtout des rencontres de personnalités et d’histoires individuelles qui, du fait la concentration sur les engagements pris et les objectifs à atteindre, très souvent, ne sont pas remarquées. Ces histoires se présentent à nous lentement et en passant, elles n’ont été pas cachées mais, seulement, elles attendaient un soupçon de curiosité pour sortir au grand jour.
Notre projet d’appui à la lutte contre la tuberculose dans le District sanitaire de Diofior au Sénégal, dans la Région de Fatick, mené en collaboration avec Yungar pour la paix a dépassé, de jour en jour, complexité et délicatesse. Nous pouvons affirmer avoir fait une bonne semence, la terre a été généreuse et nous a donné une culture particulière: l’humanité! Il s’agit des toutes les Bajenu Gox, de tous les patients et de nos partenaires tels Amadi Senghor (notre référent administratif à Djilor), Maimouna Mballo (Technicienne Supérieur du Laboratoire de Diofior), Lamine Gning (Responsable du Centre de Diagnostic et de Traitement de la Tuberculose de Diofior, Superviseur communautaire de la TB). Les progrès et les réalisations doivent être partagés avec chacun d’entre eux parce qu’ils ont été obtenus principalement grâce à leur engagement concret sous la direction et le leadership du Dr Mama Moussa Diaw, Médecin chef du District sanitaire de Diofior.
Le Dr Diaw est un jeune médecin, souriant et toujours aimable. Un professionnel de confiance, un point de référence pour la communauté locale et pour nous de Stop TB Italia Onlus. Son management s’est traduit par l’orientation du projet qui a démarré au moment où il prenait service en décembre 2012 alors qu’il n’avait pas participé à l’analyse situationnelle, ni à la fixation des objectifs et ne connaissait pas encore l’environnement de Diofior. Mais, il a aussitôt piloté le projet comme s’il est était l’un des principaux concepteurs pour aboutir au succès éclatant dès la première année d’exécution. Les caractéristiques humaines surprenantes du Dr Diaw, nous ont amenés à nous intéresser de plus près à ce personnage et nous avons été encore plus étonnés. En effet, son énergie et sa positivité cachent une histoire personnelle pleine de souffrances et de peines, qui mérite d’être partagée.
Il ne parle pas souvent de son autre facette, celui de la personne engagée pour la cause des opprimés, victimes des injustices et pourtant, une simple recherche sur internet nous surprend par le foisonnement d’informations sur lui. En effet, il a choisi de raconter cette partie très douloureuse de sa vie dans un ouvrage intitulé “Les otages”, publié en 2007 et qui fait aujourd’hui figure de référence parmi les témoignages sur les événements interraciaux qui ont eu lieu en Mauritanie entre 1989 et 1992. Dans le portrait qui lui est par la Gazette, un prestigieux journal sénégalais, en 2010, il résume ainsi sa vie:
“Je suis né en 1975 à Podor dans le nord du Sénégal, mais j’ai grandi en Mauritanie entre Rosso et Akjoujt. A 5 ans, j’ai perdu ma mère. Un an après, mon père, un agent de la société mauritanienne d’eau et d’électricité, s’est remarié, puis est tombé sous le régime de la polygamie. Cette nouvelle situation a eu des conséquences douloureuses pour moi puisque je n’étais l’enfant d’aucune de ses épouses et la maison grouillait d’adultes qui étaient de neveux de mon père ou ses beaux frères ou belles sœurs. Je devais subir leurs brimades, leurs lois en l’absence de mon père sans poser de question. L’enfance passée avec mon petit frère était une vie d’adulte. A dix ans j’étais déjà classé parmi les adultes et je devais manger avec eux, faire mon linge. Dans cette atmosphère d’innocence brisée et de cœur plein de colère, je me sentais trop seul et il naît en moi le désir de me révolter mais, je craignais la répression des adultes”.
À cause des événements interraciaux entre le Sénégal et la Mauritanie et des massacres orchestrés par le régime de Ould Taya* sur les populations négro-mauritaniennes à partir d’avril 1989, il a été déporté dans le camp de réfugiés mauritaniens de Dagana au Sénégal avec toute sa famille en mars 1990.
Pendant l’enregistrement à la Brigade de Gendarmerie de Dagana, ils étaient restés toute la journée sans rien manger. La famille du Commandant, compatissante, avait envoyé un plat mais, les adultes, avaient décidé de continuer leur jeûne forcé pour laisser aux enfants cette chance de manger. Quand le bol fut ouvert, ils virent que c’était des restes:
“J’avais très faim mais j’avais refusé de manger, une question d’orgueil. En Mauritanie, même le chien qu’on avait à la maison, avant de manger, on lui donnait sa part”. Témoigne le Dr Diaw dans Les otages”.
Il décrit la rudesse des conditions dans le camp de refugiés:
“La vie dans le camp été une humiliation extrême. En Mauritanie, j’avais ma chambre pour moi seule. Ici, la vie était devenue encore plus difficile. Je me réveillai dans la même tente avec mon père, ses deux épouses, mon oncle et mes frères et sœurs. J’ai réalisé que j’avais tout perdu en un éclair, en une nuit”.
Deux semaines plus tard, il quittait le camp de réfugiés de Dagana pour poursuivre ses études au Collège d’Enseignement Moyen de Podor chez son oncle paternel. Mama Moussa n’a pas oublié l’accueil que lui avait réservé ses camarades sénégalais en classe de 5ème:
“Ils ont commencé à me rejeter en me donnant le surnom de “nar-bi” (le maure). J’étais anéanti, car c’est ce peuple auquel il m’assimilait, qui m’avait expulsé en me disant que je n’étais pas des leurs”.
Les lettres et les chiffres deviennent son seul refuge. L’adolescent était en colère contre le monde entier:
“Très jeune, je découvris que je ne pouvais pas compter sur la société, elle était parfois cruelle et ne faisait pas de cadeau”.
Il quitta Podor après l’obtention du Brevet de Fin d’études Moyennes en 1992.
Grâce à l’aide humanitaire du Haut Commissariat des Nations Unies (UNHCR) et de bienfaiteurs français basés à Rouen sous la direction de Pierre Lendemaine, Consul honoraire du Sénégal, à travers Caritas Saint Louis, il a pu poursuivre ses études au Lycée El Hadji Omar Al Foutiyou Tall de Saint Louis où il obtint son Bac scientifique en 1995 avec la mention Assez Bien.
Malgré les pressions du HCR et l’incertitude devant l’inconnu, il s’inscrit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar à la faculté de Médecin, de Pharmacie et d’Odontostomatologie. Il obtint une bourse de l’Etat du Sénégal et ses bienfaiteurs Français continuèrent à l’appuyer jusqu’en 2000. Déclare le Dr Diaw.
“J’ai terminé mes études de médecine en 2003 avec l’obtention du Diplôme de Docteur d’Etat en Médecine avec les honneurs du jury. Mais j’avais une sorte d’épée de Damoclès qui pendait sur ma tête. En effet, je ne pouvais pas me permettre de redoubler une année académique sous peine de perdre ma bourse d’étude, la seule garantie sur laquelle je pouvais compter pour m’en sortir”.
Pourquoi la avoir choisi la Médecine?
“Dans le camp des réfugiés de Dagana, j’avais une profonde admiration pour les agents de Médecins Du Monde et des autres ONG du Secours Islamique qui nous aidaient sans rien attendre en retour. Je me suis dit que je rendrai la monnaie quand je serai grand”.
A sa sortie de l’Université, il a tenu promesse.
“J’ai servi dans une grande clinique de Dakar avant d’être recruté par le Centre Hospitalier Régional de Saint-Louis en 2004 où j’ai participé à la première expérimentation du service des urgences centralisées. Après cela, j’ai poursuivi mon chemin à la fin de l’année dans la Fonction publique avec une affectation à Tivaouane comme Adjoint au Médecin-Chef de District. En Avril 2008, j’ai demandé une mutation à Kolda pour des raisons familiales et je me suis retrouvé au poste de Médecin chef du Bureau Régional de l’Immunisation et de la Surveillance Epidémiologique (BRISE) ou Adjoint au Médecin-Chef de Région jusqu’en Septembre 2009. Je fus ensuite affecté comme Médecin chef du District Sanitaire de Goudomp, en Casamance, dans la nouvelle Région de Sédhiou. Après deux années de service dans cette ville que je considère désormais comme ma troisième ville, je fus à nouveau affecté à Koumpentoum dans la région de Tambacounda. En décembre 2012, pour me rapprocher de ma famille, j’ai demandé et obtenu une affectation de Médecin chef du District sanitaire de Diofior ou j’exerce encore”.
Le Dr Mama Moussa Diaw a rencontré son âme sœur, une étudiante en pharmacie, vers la fin de ses études universitaires. Ils se sont mariés en 2005 et ont une fille de 9 ans.
“Elles sont mon bonheur“ dit-il.
Le parcours du Dr Diaw est déjà très riche. En effet, il a participé à l’élaboration de nombreux documents et guides nationaux dans les domaines du VIH/Sida, la Surveillance épidémiologique et de la santé communautaire. Médecin paludologue depuis 2009, il appuie le Programme National de lutte conte le Paludisme dans la formation des acteurs, dans la planification et dans le suivi évaluation à tous les niveaux. En 2010, il a participé à une réunion internationale sur la prise en charge du paludisme à domicile à zanzibar en Tanzanie.
Il est diplômé d’un Master en Vaccinologie pratique et management des services de santé de l’Université Paris Dauphine et dans ce cadre, il est membre du Réseau National des Epivaquiens du Sénégal et, à ce traitre, il est formateur et superviseur du Programme Elargie de Vaccination et de la Surveillance Epidémiologique.
Depuis octobre 2011, titulaire d’une bourse de l’Etat du Sénégal, le Dr Mama Moussa Diaw, poursuit des études à l’Institut de Santé et de Développement (ISED) de la Faculté de Médecin, de Pharmacie et d’Odontostomatologie pour l’obtention d’un Diplôme d’Etudes Spéciales (DES) en Santé Publique. C’est dans ce cadre qu’il a orienté l’essentiel de ces recherches opérationnelles dans le domaine de la tuberculose dont une publication dans le journal européen de santé respiratoire comme co-auteur. La soutenance du Mémoire final est prévue pour le mois de décembre 2015.
Parallèlement à son travail de Médecin, fait avec une passion évidente, Mama Moussa cultive, avec un certain succès, l’art d’écrire. Après “Les otages”, il a publié en 2010 “Châtiments”. C’est un roman traite de la question de la mendicité, du tourisme sexuel et des abus et violences faits aux les enfants au Sénégal.
Preuves de son engagement contre l’injustice et l’impunité, contre les crimes racistes mais aussi contre les tares de la société dont les pires formes de travail des enfants, les abus et le dérives de la société, Les otages et Châtiments son un cri du cœur du Médecin-Ecrivain:
“J’ai écrit ce livre (Les otages NDLR) pour transmettre un message à la Communauté internationale pour juger les auteurs de crimes, tortures et exécutions extrajudiciaires du régime de Maaoya Ould Sid Ahmed Taya”.
Voici, résumée en quelques lignes, nous voulions raconter une des nombreuses histoires qui peuvent être découverts à travers le chemin d’un projet de coopération, qui nous permet d’enrichir notre bagage personnel d’expérience avec beaucoup de respect et d’admiration. Une histoire surprenante, la vie du Dr Mama Moussa Diaw, un homme qui a été capable de sortir de la misère des camps de réfugiés pour devenir Médecin de santé publique au service des populations mais aussi écrivain, avocat des opprimés et des exclus de la société. C’est un homme grand comme les adultes, sincère comme les enfants et toujours souriant, en dépit de tout.
Merci Diaw, pour avoir accepté de partager avec nous une partie importante de votre profonde histoire.
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